vendredi 21 mars 2008

"Meshugah" - Isaac Bashevis Singer

L'Avis de Céline

L'homme et le monde qui l'entoure est "Meshuga" c'est bien ce que semble dire cet écrivain qui mène une vie discrète et effacée jusqu'a ce que surgisse un vieil ami Polonnais rescapé de la Shoah.
Les rencontres qui vont suivrent rendront la vie de Aaron bien plus compliquée qu'il ne semble pouvoir la comprendre lui même.

Max est un vieux Monsieur excessif, aux multiples conquêtes féminines dont la dernière en date est une jeune femme qui veut se partager entre lui et Aaron.
Miriam est aussi une survivante des camps et pour ce faire elle a du vivre des moments peu glorieux. Lorsque son secret va éclater elle ne cherchera pas pour autant la rédemption de ses pairs et Aaron n'aura pas la courage de la quitter malgré tout ce que les textes sacrés condamnent. Miriam est une jeune-femme instruite autant que malicieuse, là ou Aaron est un céréblral toujours proche de la lâcheté masculine.

Les fantômes sont autant de vivants qui habitent le roman et les vivants autant de mort qui déambule. Tout Singer éclate de talent dans ce roman doux amer aux personnages inoubliables.




L'Avis d'Ingannmic

New York, 195....Aaron Greidinger, écrivain juif polonais proche de la cinquantaine, travaille pour un journal yiddish, dans lequel il publie des feuilletons et prodigue des conseils en tous genres à ses lecteurs, issus de la diaspora. Il retrouve l'une de ses connaissances de Varsovie, Max Aberdam, de 20 ans son aîné, qui a perdu sa 1ère femme et ses 2 filles dans les camps de concentration, et qui est à présent remarié.
Max lui présente Miriam, sa maîtresse de 27 ans. Ils vont former une sorte de ménage à trois, la jeune femme étant éprise des deux hommes, qui se vouent mutuellement amitié et respect.

Isaac Bashevis Singer nous brosse le portrait d'une communauté juive déracinée de sa Pologne natale, souvent marquée par les épreuves infligées par les nazis à eux-mêmes ou à leurs proches, mais qui, grâce à sa faculté d'adaptation et à une forte solidarité, connaît aux Etats-Unis une certaine "réussite" financière..(car d'un point de vue psychologique, elle garde les stigmates desdites épreuves, notamment sous la forme de cette "folie" dépeinte par l'auteur et matérialisée par le terme "meshugah", qui signifie "fou à lier, fêlé, cinglé, fou de joie et de tristesse").

J'ai été frappée aussi par les contradictions dont fait preuve le personnage d'Aaron : il considère la polygamie d'une façon très libertaire, puis est choquée d'apprendre que Miriam a du , pendant la guerre, vendre son corps pour survivre...De même, il est très imprégné de la culture et de la religion juives, auxquelles il se réfère constamment, mais a une façon très personnelle de considérer Dieu, qui n'est pas pour lui un Dieu de compassion, ni un Dieu tout-puissant, mais simplement celui qui a bâti le monde et se contenterait à présent de l'observer, l'Homme conservant toujours son libre arbitre.

Un ouvrage qui se lit facilement, plutôt plaisant, mais je ne peux pas dire non plus que j'ai adoré, sans trop savoir pourquoi..disons qu'il n'a pas éveillé en moi cette sensation d'être plongée dans l'histoire, ni celle d'éprouver de l'empathie envers les divers personnages...



L'Avis de Thom

« Si on m’avait prédit que je deviendrais imprimeur à Shangaï, que les juifs auraient leur état à eux, et qu’à New York je jouerais en bourse, j’aurais été plié de rire. Mais tout ceci est arrivé, aussi dingue que ça puisse paraître. A moins que je rêve. »

…mais non : Max ne rêve pas. Et c’est bien dans une Amérique ressemblant beaucoup à ses fantasmes qu’il retrouve le narrateur, Aaron Greidinger. Lequel est pour sa part devenu journaliste et écrivain vedette de la communauté juive new-yorkaise, particulièrement en vue en ce début d’année 1952.
Les retrouvailles sont touchantes…mais aussi pour le moins déroutantes : Max semble moins heureux de retrouver un vieil ami perdu de vue pendant la guerre que de parader au côté d’un artiste connu, auquel il présente toutes les femmes de sa vie. Et il y en a ! Car Max l’hédoniste n’est rien de plus qu’une sorte de gigolo sexagénaire navigant au milieu d’une cohorte de femmes ayant pour trait commun d’être toutes fan de…son vieux copain Aaron. Max aurait-il un dessein caché ? Et qui est vraiment Miriam, sa fascinante maîtresse, vingt-sept ans et déjà plusieurs vies à son actif ?

Beaucoup, beaucoup de choses de ce remarquable roman posthume. Plusieurs romans même, peut-être…un roman à la rigueur quasi sociologique, décortiquant les rapports de cette petite société juive new-yorkaise toute à la fois meurtrie par un exode encore tout proche et émerveillée de ce curieux paradoxe : la guerre et la fuite qu’elle a leur a imposé leur a en fait ouvert tout un horizon de possibles dont ils n’auraient osé rêver s’ils étaient restés en Pologne. Drôle de réflexion suffisant à faire comprendre dès les premières pages qu’on aura pas droit ici à un énième livre mettant en scène des survivants de l’Holocauste. Et de fait alors que le lecteur se croit embarqué dans une histoire de ce type il a la surprise de voir subitement le texte glisser vers une affaire de triangle amoureux aux confins du libertinage (certes implicite), plein de fureur et de passion.
C’est alors un tout autre roman qui commence, plus étonnant encore que le premier et tout à fait passionnant : entre Max et Aaron naît comme on pouvait s’y attendre une rivalité amoureuse, Miriam devenant l’arbitre d’une joute étrange entre l’écrivain talentueux se révélant un brave type ordinaire et le baroudeur ayant survécu à tout mais témoignant en permanence de son inaptitude à l’existence quotidienne - lecteur vorace qui pourtant méprise sans le savoir la littérature :

« …je ne suis pas jaloux [d’Aaron]. Moi aussi, je l’aime bien. Il ne connaît pas le centième de ce que je sais sur la Pologne et Varsovie. Comment le pourrait-il ? Il est né dans un pauvre petit shtetl paumé. C’est un pur provincial. Il s’installe derrière son bureau et se met à inventer des trucs. Pour toi ces inventions valent plus que mes faits. Le Guemarah dit qu’après la destruction du Temple le don de prophétie a été donné aux prophètes et aux fous. Puisque les écrivains sont fous, c’est connu, ils sont devenus prophètes. Comment un jeunot comme lui peut-il savoir comment parlait mon père ?! »

…et comme si l’auteur s’était lui-même scindé en deux pour créer ce duo de personnages aussi antagonistes que complémentaires, on a régulièrement le sentiment que Max a littéralement kidnappé le panache, la folie et la magie que le lecteur (ou Miriam) s’attendait à trouver chez l’artiste. Qui est réduit à n’être qu’un conteur, réceptacle de l’interminable (et il est vrai fort romanesque) histoire de Miriam, auditeur et non acteur – spectateur et non créateur. Et tandis que Max continue de vibrillonner à sa guise on se dit que le meshugah n’est pas celui que l’on croit…

En somme un roman exceptionnel qui me fait m’incliner et retirer une bonne partie de ce que j’ai pu écrire dans un précédent billet sur Isaac Bashevis Singer. A vrai dire dans « Meshugah » on se demande si c’est le même écrivain qui pontifiait à outrance dans « Gimpel the Fool ». Qu’importe : cet écrivain-là, aux obsessions troubles et à l’écriture bariolée, oui, je vois parfaitement sa filiation avec un certain plus grand écrivain vivant bien connu de nos services…

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