vendredi 21 mars 2008

"Kafka sur le rivage" - Haruki Murakami

L'Avis de Zaphod

L’autre jour, j’allume la radio et j’entends un concerto pour piano que je ne connais pas. Il m’a suffi de quelques mesures pour identifier le compositeur : Mozart sans aucun doute. Il est tellement reconnaissable que j’ai un peu l’impression qu’il réécrit toujours le même concerto avec quelques variantes. Mais les vrais fans de Mozart vous diront que Mozart fait du Mozart, et qu’ils ne voient pas pourquoi il devrait faire du Bach ou du Beethoven, qu’ils préfèrent écouter 10 concertos de Mozart qu’un concerto de 10 autres compositeurs, que Mozart a atteint une sorte de perfection dans son style, et que faire différent serait perdre une partie de cette perfection.
Mais il me semble plus probable que Mozart était dans un processus de recherche de la perfection, ou en tout cas de son idée de la perfection ; qu’il avait l’intuition de la direction à emprunter, mais n’était jamais (comme tout perfectionniste) complètement satisfait du résultat, d’où les multiples tentatives et variations sur le même thème.

En fait, je n’avais pas l’intention de parler de Mozart, mais de Haruki Murakami ; cependant, pour moi, le rapprochement entre les deux s’impose : Murakami écrit toujours le même roman.
Cela fait un moment que j’ai envie de parler d’un livre de Murakami, mais à vrai dire, cela m’est difficile, car ils se confondent tous dans ma mémoire : les personnages se superposent, voyagent d’un roman à l’autre, des éléments d’intrigue se reproduisent comme dans un jeu de miroirs.

Alors, prenons celui que je viens de terminer, tant qu’il est encore frais dans mes souvenirs, avant qu’il ne rejoigne les limbes obscures de l’univers Murakamien.

C’est un concerto à deux personnages.
Prenez deux personnes en rupture volontaire ou involontaire avec leur vie et avec la société. Deux personnages à l’esprit plus ou moins désaccordé. Deux voix qui vont évoluer parallèlement, puis se poursuivre dans une sorte de fugue, pour finalement se rejoindre. Ajoutez une touche de fantastique pour donner à l’histoire ce timbre étrange typique du maître. Vous avez une orchestration à la Murakami.

Il reste à créer la mélodie, et là, Murakami puise sans vergogne dans sa bonne vieille réserve de thèmes : l’absence, la solitude, la quête identitaire.
Une fois de plus, une femme insaisissable est absente et un des personnages la recherche sans vraiment la chercher. Une fois de plus, les personnages principaux sont porteurs d’une part d’ombre, d’un secret dont ils ignorent eux-mêmes la nature, et qui les poursuit au cours de leur vie. Une fois de plus, les héros vont se retrouver en situation de rupture, ce qui va les amener à abandonner la vision qu’ils avaient d’eux-mêmes, peut-être pour la remplacer par une autre, mais en tout cas pour évoluer, pour gagner en liberté, se réconcilier un peu avec eux-mêmes.

Donc, encore une fois le même roman, le même concerto. Mais ce qui est incroyable, c’est que comme pour Mozart, la sauce prend et on se fait avoir à chaque coup. Il suffit que ces deux là jouent quelques notes, et notre esprit se met à vibrer à l’unisson, on n’y peut rien. Et on en redemande. Et puis, Murakami se joue un peu de ses thèmes habituels : tout à coup, on s’aperçoit qu’on se trouve dans le nœud d’une tragédie grecque, puis dans une histoire d’amour.

Faut-il vraiment résumer l’ « action » ? Dire que Kafka Tamura, un ado de 15 ans fugue du domicile paternel pour échapper à une sorte de malédiction ; dire que Nakata, un vieux bonhomme dont le cerveau s’est vidé quand il avait 8 ans suite à une évènement bizarre, décide lui aussi de quitter pour la première fois sa banlieue de Tokio, c’est ne rien dire. Mais l’action est-elle vraiment importante pour Murakami ? L’important sont les personnages, et avec une remarquable économie de moyen, Murakami réussit à leur donner une personnalité, un magnétisme, et une présence incroyable. Comme Mozart peut composer un adagio avec quatre notes.

Comme souvent, ces personnages éveillent beaucoup d’échos en moi. Ils me rappellent que la vie est comme la surface d’une bulle de savon ; que cette surface est extrêmement mince, qu’elle peut changer de forme ou éclater à tout moment, qu’elle n’est que bien peu de chose face à l’espace intérieur et extérieur qu’elle délimite, mais qu’il suffit que le bon rayon de lumière la traverse, et pour un instant, elle peut prendre toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. (Hum, je ne suis pas totalement satisfait de la métaphore bullique. J’aurais dû utiliser celle de la peau de banane. Tant pis, ce sera pour une autre fois).

Ce n’est pas mon roman préféré de Murakami (j’aime mieux « the wind-up bird chronicles », ou même « south of the border, west of the sun »), et ce n’est pas encore le roman parfait. L’auteur retombe dans ses habituels tics énervants tels que les descriptions insipides et répétitives de vêtements ou voitures. Il y a des voies sans issues, et des questions sans réponses (comme dans la vie, en somme). Ne vous laissez pas abuser par le début du roman qui démarre en enquête policière sur un phénomène étrange : vous ne connaîtrez jamais le fin mot de l’histoire ! Cette imperfection, on pourrait même croire que Murakami s’en explique ou s’en excuse, et en prenant comme par hasard une analogie musicale :

« Works that have a certain imperfection to them have an appeal for that very reason –or at least they appeal to certain types of people. […] That’s why I like to listen to Schubert while I’m driving. Like I said, it’s because all the performances are imperfect. A dense, artistic kind of imperfection stimulates your consciousness, keeps you alert. If I listen to some utterly perfect performance of an utterly perfect piece while I’m driving, I might want to close my eyes and die right then and there. But listening to the D major, I can feel the limits of what humans are capable of –that a certain type of perfection can only be realized through a limitless accumulation of the imperfect. And personally, I find that encouraging. »

Mais moi, j’y peux rien, je suis conquis, et Murakami peut bien encore continuer à écrire dix fois le même roman, je le lirai toujours avec plaisir.
Pour paraphraser l’aphorisme qui dit que le silence après Mozart est encore du Mozart, longtemps après avoir refermé un livre de Murakami, cette ambiance étrange et nostalgique si particulière continue à me bercer. Et ces personnages si attachants à m’accompagner comme des ombres.

« Why don’t you just go ahead and imagine what you want ? You don’t need my permission. How can I know what’s in your head? »






L'Avis de Livrovore

Kafka Tamura (il s'est lui-même choisi ce prénom : Kafka), quinze ans, fuit la maison où il vit avec son père. Il veut échapper à cette vie, ce père, ce destin qui lui a été tracé.
De son côté, Nakata, un vieux qui se dit "pas très intelligent", car il ne sait plus ni lire ni écrire depuis un accident qu'il a eu dans son enfance, parle avec les chats, et vit de sa petite pension de l'état.
Les vies de ces deux personnages avancent en parallèle, se rapprochent et se croisent, à travers le récit.

Ce roman est un conte philosophique, onirique, mais réaliste aussi quand même... il y a tout dedans !! Il fait réfléchir à des questions d'identité, de construction de soi par rapport aux autres et à la vie, que l'on soit adolescent comme Kafka Tamura ou non.
L'écriture de Murakami est douce, feutrée, les émotions nous effleurent puis nous bouleversent. Une pincée de rire, quelques larmes et des sourires... J'ai ressenti de grandes bouffées d'émotions pendant cette lecture, qui fait réfléchir au sens de la vie, au sens que l'on donne à sa vie, aux façons de surmonter des difficultés, des choses qu'on ne maîtrise pas.

"Je me lève, vais à la fenêtre et regarde le ciel. Et je pense au temps qui ne reviendra pas. Je pense aux rivières, aux marées. Je pense aux forêts et aux sources. A la pluie et aux éclairs. Aux rochers. Aux ombres. Et tout cela est à l'intérieur de moi."

L'auteur allie la beauté de l'Homme et de la nature : on croise forêts, chats ou humains... les sensations que chaque chose procure... Ainsi que la puissance des rêves, des pensées.
Il y a tellement de sujets et d'émotions dans ce livre que je ne sais pas bien en parler : le mieux c'est de le lire. J'ai déjà envie de le relire.

"Le passé, c'est comme une assiette brisée : on aura beau tenter d'en recoller les morceaux, on ne pourra jamais lui rendre son aspect d'antan."






L'Avis de Laiezza

Je ne referai pas de résumé, et passerai directement à mes impressions.

Vous connaissez mon amour pour Kafka ? Mauvaise nouvelle : rien à voir avec Kafka. Bonne nouvelle, par contre : c'est un conte philosophique extrêmement bien écrit, une fable comme je les aime, réflexions ouvertes...à mon avis quelqu'un de totalement réfractaire à la "pensée orientale" et à ce genre de trucs ne pourra pas accrocher (m'étonne pas que Thom ait détesté au point de ne même pas écrire un mot dessus, ce qui est quand même rare).
Au-delà du côté fable, donc, universel ou du moins universel du côté du pays du Soleil Levant, il y a aussi l'univers propre à l'auteur, très lumineux. J'avais déjà ressenti ça il y a quelques années, avec Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil. Pas vraiment quelque chose d'onirique mais plutôt...quelque chose de planant. Murakami plane, son écriture plane complètement, d'ailleurs des fois je me disais : "C'est pas très bien écrit, ce passage"...alors qu'en fait, c'est très bien écrit. Parce que ça colle à l'histoire.

Un très beau livre. Un peu trop long, mais très beau !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire