vendredi 14 mars 2008

Franz Kafka (Aristochat oct/nov 2006)

Par Laiezza

Né à Prague en 1883, Franza Kafka est tout l'inverse de l'image qu'on peut se faire du génie. Personnage discret et effacé, il vécut quarante et une années durant une vie sans relief et dépourvue de véritable intérêt.


On a coutume de dire Kafka est un écrivain tchèque, ce qui est juste du point de vue géographie mais ne l'est pas réellement du point de vue historique : en 1883 (et durant l'essentiel de sa vie), Prague fait partie de l'Empire Austro-Hongrois. On ne parle même pas encore de Tchécoslovaquie, alors vous vous imaginez la tête de Kafka si on lui avait dit qu'il était citoyen de la République Tchèque ! Cette question de nationalité est d'autant plus caduque que Kafka est un juif de langue allemande...il appartient donc à une sorte de minorité dans la minorité. Les juifs ne sont pas si nombreux dans la Tchéquie de l'époque, et la langue nationale n'y est pas l'allemand...alors une famille de juifs qui parle allemand, à Prague, en 1883, ce sont presque des extra-terrestres . D'autant que la famille Kafka a une autre particularité peu commune pour l'époque : elle est le fruit du mariage entre un commerçant provincial un peu rustre et une grande bourgeoise de Prague.
La question identitaire est d'ailleurs au coeur de son oeuvre : non pas la question de l'identité religieuse ou nationale, mais une interrogation plus générale sur son identité personnelle. Pas besoin d'être extrêmement cultivé ni extrêmement intelligent pour remarquer que les personnages de ses textes sont neuf fois sur dix des êtres mollassons et dénués de charisme, qui peinent à trouver leur place dans le monde qui les entoure - à l'image de Kafka lui-même.

Le peu qu'on sache de l'enfance de Franz Kafka est ce qu'il en a dit, c'est à dire pas grand chose. Une enfance visiblement très solitaire bien qu'il ait plusieurs frères et soeurs, studieuse mais sans éclat non plus de ce point de vue. Après le bac il commence simultanément des études d'allemands et de droits qui ne déboucheront sur rien. Il ne s'intéresse que très vaguement à l'art et n'a aucun ami connu hormis le poète Max Brod qu'il rencontre en 1902 et qui va jouer un rôle plus que prépondérant dans sa vie puisqu'il sera son exécuteur testamentaire, l'homme qui se cache derrière la publication des oeuvres de Kafka.
Brod est un personnage au moins aussi mystérieux et énigmatique que Kafka lui-même, sujet depuis des décennies à de multiples questions et polémiques qui resteront sans doute à jamais sans réponses. Certains prétendent qu'il a largement contribué à compléter les manuscrits de son amis, d'autres vont jusqu'à affirmer qu'il n'a jamais existé. Il existe même quelques personnes pour prétendre que Brod et Kafka ne sont qu'une seule et même personne !
En attendant, la plupart des éditions actuelles des oeuvres de Kafka contiennent des préfaces ou post-faces de Max Brod qui aident à éclairer l'oeuvre tout en prêtant le flanc aux polémiques : il en effet étonnant que le poète soit au fait d'autant de secrets au sujet des oeuvres de son ami...

Finalement reçu comme docteur en droit, Kafka va ensuite mener une carrière insipide dans une compagnie d'assurance. On ignore de manière précise à quelle époque il a commencé à écrire, personne ne lui connaissant jusqu'alors de passion pour la littérature. Subitement, en 1909, il fait publier plusieurs essais dans un magazine allemand, Hyperion, dont le plus important s'intitule "Description d'un combat". On considère à l'époque qu'il s'agit d'une prise de position arnarchiste mais ce texte, mi-essai mi-nouvelle, est beaucoup plus complexe : on y retrouve déjà ce qu'on appellera aujourd'hui les obsessions kafkaïennes. Humeur morose, incompréhension du monde alentour...

La suite de la vie de Kafka est essentiellement occupée par son métier au service des accidents du travail et une succession impressionnante de conquêtes féminines...ou plutôt de non conquêtes : fiancé au moins quatre fois officiellement (dont deux fois à la même femme), Kafka n'ira jamais jusqu'au mariage. Un peu comme si sa vie, au même titre que son oeuvre, était destinée à rester inachevée.
1912 marque sa rencontre avec Milena Jesenska, la fameuse Milena des "Lettres à Milena", qui contrairement à ce qu'on raconte n'était pas sa maîtresse mais une amie qui traduisit en tchèque la plupart de ses textes. En effet, bien que vivant aux abords de la future République Tchèque, Kafka ne parle pas un mot de cette langue. Cela renforce sa solitude et l'empêche surtout d'étendre son lectorat ; il mène une vie plus statique que sédentaire et de ce fait sa seule chance de se faire connaître en tant qu'écrivain et d'échapper à sa condition de fonctionnaire (la lie de la terre à l'époque) est d'être traduit.
C'est à cette époque qu'il rédige "Le verdict" et l'essentiel des nouvelles qui figurent aujourd'hui dans le recueil "La Métamorphose". Cependant ce recueil n'a été compilé qu'à titre posthume : les seize textes qu'on y retrouve ne sont pas tous datés. On sait que "Le verdict" date de 1913 environ, que la nouvelle éponyme a été publiée pour la première fois en 1915 et "Rapport pour une académie" en 1917 ou 18. C'est également à cette époque qu'il contracte la tuberculose.

En 1919, il écrit son second récit le plus connu, "La Colonie Pénitenciaire", qui a lui aussi débouché sur un recueil du même nom. Pour la première fois, un de ses textes semble avoir du succès, mais un peu tard : Kafka va être emporté par sa maladie en 1924. Dans son testament, il ordonne à Max Brod de détruire toute ses oeuvres, mais son ami préfèrera se battre pour les faire publier.

Kafka n'a écrit que trois romans, très proches les uns par rapport aux autres, dont aucun n'a été achevé ni publié de son vivant : "Le Procès" (1925) se termine de manière relativement compréhensible. "Le Château" (1926), par contre, ne se termine clairement pas. Enfin "Le Disparu", son roman le plus ancien, n'est selon toute probabilité qu'une ébauche. Max Brod hésitera longtemps avant de le publier. Il le fera en 1927 sous le titre "L'Amérique", mais je déconseille de commencer la lecture de Kafka par celui-ci dans la mesure où c'est un texte extrêmement décousu.

Parmi les nombreux thèmes abordés se mêlent les angoisses de l'entre deux siècles et des démons beaucoup plus personnels. Le fantasme du père est le plus connus d'entre eux, en raison de la célèbre "Lettre au père", une lettre de la taille d'un petit roman durant laquelle il défoule à l'encontre de Hermann Kafka toute sa haine et son dégoût. C'est peut-être le texte essentiel pour comprendre l'oeuvre, car il est beaucoup plus complexe qu'il y paraît - de prime abord cela ressemble à une terminable succession de reproches où l'auteur rend son père responsable de l'échec total de sa vie entre un tas d'autres choses. On ignore exactement la date de rédaction de ce texte, généralement placé dans les biographies vers 1919. Ce qui est certain c'est que cette lettre n'a jamais été envoyée et seulement publiée sur le tard, après même que Max Brod soit décédé (ce dernier n'aurait sans doute jamais autorisé qu'on viole ainsi l'intimité de son ami). Ce fantasme du père est présent dans tous ses textes, mais souvent en sous-entendu. Seul "L'Amérique" présente réellement un personnage de père semble t'il proche de Hermann Kafka (ou du moins de l'idée que son fils avait de lui).
Au fantasme du père est directement lié celui de la loi : on la retrouve bien sûr dans "Le Procès", où un brave type se voit littéralement broyé par la machine judiciaire, mais elle est aussi présente dans "Le Château" de manière moins explicite, ainsi que dans "Le verdict" ou "La Colonnie pénitentiaire". Chez Kafka la loi est toujours hostile, mais ce qui la rend surtout violente est qu'elle systématiquement subie et non comprise par ses victimes. Certains voient dans cette figure de la loi une sorte de bras armé de la fatalité.

Certains critiques assurent aussi que le désir et l'amour violents sont des moteurs de l'oeuvre, mais on ne peut pas réellement l'affirmer au vu des textes de fiction. Il est évident à la lecture de ses correspondances amoureuses et de son journal que Kafka brûlait d'un feu intérieur contrastant totalement avec sa nature effacée, mais cela ne transparaît pas vraiment dans ses nouvelles ni ses romans.

Je ne suis personnellement pas d'accord avec l'idée répandue selon laquelle l'auteur s'identifierait à ses personnages, et je trouve qu'au contraire il ne démontre aucune compassion pour eux. Mais nous aurons le temps d'y revenir durant ces deux mois !!
Il est en revanche évident que Kafka a inventé non seulement un univers et une vision du monde mais aussi un style, un ton de narrateur neutre et à la limite du candide, en opposition à l'extrême cruauté de ses histoires.

La question qu'on peut se poser à ce sujet est la suivante : ce style direct et instinctif est-il volontaire au bien est-ce lié au fait que ses romans n'ont pas été révisés avant leur publication ? il y a peu de chances pour qu'on le sache un jour.

Pour la bibliographie, j'ai la possibilité si on me le demande de donner une liste intégrale comprenant toutes les nouvelles et tous les essais hors recueils, mais j'ai préféré, pour être plus concise, citer les romans et recueils les plus faciles à se procurer. Pour les recueils, la date figurant entre parenthèse est celle de publication de la nouvelle-titre, ces textes ayant été tirés dans des centaines d'éditions différentes au fil des années.

  • "Regards" (essai, 1909)
  • "Description d'un combat" (1909) - l'édition "séparée" de ce texte date en fait de 1936
  • "La Métamorphose et autres récits" (1915)
  • "La Colonnie pénitentiaire et autres récits" (1919) - il existe une édition simple du texte sous le tire "Dans la colonnie"
  • "Lettre au père" (1919)
  • "Le Procès" (1925)
  • "Le Château" (1926)
  • "L'Amérique" (1927) - titre de l'édition Folio, mais le roman a récemment été réédité chez GF sous le titre "Amerika ou Le Disparu"
  • "La Muraille de Chine et autres récits" (1931)
  • "Lettres à Félice" (1932) - correspondance s'étalant de 1912 à 1917
  • "Correspondance : 1902 - 1924" (je ne peux donner aucune date car je ne connais pas ce recueil, je ne l'ai même jamais vu nulle part)

Durant près de vingt ans on a cru que l'oeuvre de Kafka s'arrêtait là...et soudain, dans les années 50, Milena Jesenska a décidé de faire publier à son tour les textes que son ami lui avait confié avant sa mort, à savoir :
  • "Journal" (1951) "Lettres à Milena" (1952)
  • "Préparatifs de noce à la campagne et autres proses en héritages" (1959)

A ma connaissance, le journal mis à part, tous ces textes sont aujourd'hui disponibles chez Folio.
A noter deux oeuvres très intéressante : "Le Procès", pièce de théâtre tirée du roman dans les années 30 et adaptée par André Gide et Jean-Louis Barrault ; "Kafka", le troisième film de Steven Soderbergh réalisé en 1991 avec Jeremy Irons dans le rôle titre (une très mauvaise biographie mais un film superbe et extrêmement fidèle à l'univers de l'auteur ).


Oeuvres commentées sur ce blog:
Le procès
Journal
Le château
Lettre au père


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